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mercredi 30 avril 2014

Interview de Mike Oldfield pour le Telegraph




En pleine promo pour la sortie de son 25ème album, Mike Oldfield a accordé, en mars, une interview par webcam au journal Telegraph. Comme il l'a déjà fait auparavant, il revient sur son expérience aux JO et sur son histoire personnelle. Il parle également de Tubular Bells et évidement de son nouvel album, en apportant un peu plus de précisions sur la portée de certains titres comme Nuclear. Un entretien très instructif donc et disponible dès maintenant sur le blog (en VO et en français) dans la rubrique dédiée !

Interview pour le Telegraph (par Helen Brown - 7 mars 2014)



Faisant partie des techniciens suprêmes de la musique populaire – un homme qui, de l’orgue Farsifa au flageolet [sorte de flûte à bec], a tout maitrisé pour sortir son premier album, Tubular Bells – c’est attachant de voir que Mike Oldfield roule encore ses propres cigarettes. Discutant de manière avenante, via Skype, de son domicile des Bahamas, il esquive souvent le regard de la webcam pour se plongé dans celui de son paquet de tabac. Ces roulées de la vieille époque correspondent assez bien à son retour au rock vintage pour son vingt-cinquième album studio : Man on the Rocks.

L’émergence de nouveaux titres l’a pris par surprise : il pensait que l’album orchestral de 2008, Music of the Spheres, serait peut-être son dernier. Mais il fut revigoré par sa performance à la cérémonie d’ouverture des JO de Londres de 2012, pour laquelle il a composé la musique de la section NHS [National Hospital Services], retravaillant Tubular Bells dans un style frivole et swinguant. Malgré son naturel solitaire, il a ainsi joué devant une audience mondiale de 900 millions de spectateurs exaltés.

« Je suis un homme d’extrêmes », sourit-il. « Je ne pouvais pas croire que Danny Boyle m’appelle – c’était à peu près la seule offre qui pouvait m’attirer loin de mes chers Bahamas. J’ai eu un peu le trac avant de me lancer, sachant que tout le monde regardait : la reine, la Terre entière. Mais une fois parti, ce fut une expérience merveilleuse. Pour moi, c’était une pluie de feux d’artifice, de lumières, d’anneaux entrelacés, avec James Bond et Mary Poppins… Tout était si inspirant. »

Oldfield a obtenu le plus gros coup de pouce de carrière de tous les artistes présents ce soir-là : chez HMV, les ventes de Tubular Bells ont bondi de 757% pendant la nuit. Il rend hommage à cette expérience sur le morceau intitulé Following the Angels, mais la plupart des autres titres sont entrainés par une guitare 70’s arrogante, s’emballant à la manière de l’ouragan Irene, qui a battu son île durant l’été 2011.

« Il n’y a rien de plus impressionnant que de voir la nature à son état le plus sauvage » dit-il. A l’abri derrière ses volets, il se ravi des sons environnants – « le hurlement. Le bruit blanc hurlant » - et reste debout toute la nuit à le regarder sur internet. « Ce qui est fascinant, c'est que tout ce qui se passe dehors est la nature, si vous regardez ce que les satellites montrent de l’espace, c’est juste magnifique. Cette chose en spirale, roulant lentement et tourbillonnant. »

Après ça, Oldfield s’est retrouvé à écouter les albums des Rolling Stones, accordant une nouvelle attention aux sons de la batterie. « J’ai écouté les caisse claires. Et j’ai commencé à jouer ces passages de vieux blues en Sol, que Keith Richards utilisait à la guitare. » N’ayant jamais été chanteur, il admet avoir essayé, dans un premier temps, de chanter les chansons lui-même. « Je me disais : voyons si je peux chanter comme Mick Jagger ». Mais il fut déçu par le résultat et appela la maison de disque. « Je leur ai demandé de me trouver un chanteur de rock avec une possibilité de monter dans les hautes gammes et je me suis immédiatement arrêté sur Luke Spiller du groupe The Struts. Je suis allé sur internet et je me suis dit : C'est sûr, il fait une bien meilleure rock star que moi. »

Nonchalant et hargneux, avec ses slims et ses perles, comme un hybride arriviste entre Mick Jagger et Freddie Mercury (avec un soupçon du comédien Noel Fielding de Mighty Boosh), vous pouvez voir ce Spiller de 23 ans en action dans la vidéo pour le nouveau single Sailing, qui a été tournée à bord du yacht de 68 pieds d’Oldfield, le Seadragon. Alors qu’ils fendent la mer turquoise, Oldfield est appuyé sur le bord du bateau avec sa guitare : dans son élément avec cette combinaison de précision mécanique et d’isolement total.

« Il y a des centaines d’îles ici et beaucoup d’entre elles sont inhabitées, » dit-il, « de sorte que vous pouvez prendre votre bateau, et en vingt minutes vous êtes seul sur votre propre île. J’aime faire cela. Je suis allé sur l’une de ces petites îles ce matin, et j’ai fait une danse que m’avait montré un Aztèque sur une plage d'Ibiza à environ 6h du matin, il y a six ans. C’est une sorte de danse de guerre antique : vous piétiner et vous alterner vos pieds en arrière et en avant pendant que vous faites tourner vos mains en spirale inversée, tout en adoptant un regard guerrier. J’aime être complètement seul. J’ai toujours été comme ça. Je n’ai jamais aimé les grandes villes, je suis plus quelqu'un proche de la nature. »

Bien qu’il ait eu une enfance très heureuse, tout a changé pour Oldfield lorsqu’à sept ans, sa « merveilleuse » mère a donné naissance à un bébé atteint du syndrome de Down. On lui a alors prescrit du barbiturique auquel elle est devenue accro. Elle a souffert de graves problèmes mentaux tout le reste de sa vie et Oldfield s’est réfugié dans la musique. Le grand tournant arriva lorsqu’à 19 ans, Richard Branson lui donna une semaine de studio pour enregistrer Tubular Bells, le premier album du label Virgin. L’album lança la carrière des deux hommes, mais Oldfield détestait l'attention qu'on portait sur lui et – souffrant d’une anxiété extrême – s’est retiré dans la campagne galloise. « Ça avait rendu fou Richard ! » rit-il aujourd’hui. « Il ne pouvait pas comprendre pourquoi je ne voulais pas de cette attention. Lui, il adorait ça, forcément. »

Ces dernières années, il a raconté à bons nombre de ses interviewers que la célèbre mélodie de Tubular Bells était tirée de la Toccata et de la Fugue en Ré mineur, de Bach, mises à l’envers. Mais aujourd’hui, il dédaigne cette idée. « Ce n’est pas vraiment ça. Ça ressemble à la Toccata, que j’ai toujours adorée, mais ce n’est pas vraiment la même mélodie à l’envers. » Aujourd’hui, Oldfield attribue en grande partie le succès de Tubular Bells à sa signature rythmique inhabituelle : « La plupart des musiques sont en mesure 4/4, mais cette curieuse petite mélodie au début est en 15/8. C’est comme s’il manquait une pièce à un puzzle. C’est pour ça qu’elle reste en tête. Et c’est aussi pourquoi elle marche si bien dans la bande originale de L’Exorciste – avec ce petit morceau manquant, tout sonne un peu bizarrement. » Pas fan de film d’horreur, Oldfield n’a vu le film que 15 ans après sa sortie et, à certains passages, s’est même retrouvé le seul à rire dans le cinéma.

Bien qu’Oldfield a évolué en éprouvant une certaine rancune envers les termes de son contrat de 30 ans avec Virgin, il assure que lui et Branson sont aujourd’hui bons amis. « Nous nous sommes retrouvés ici et nous avons bu un coup ensemble en écoutant toutes sortes d’étranges musiques. Il préfère les petites chansons que j’ai faites plutôt que mes gros travaux : en particulier In Dulci Jubilo (1975) et Portsmouth (1976) », qui sont les singles d’Oldfield à s’être les mieux classés dans les charts.

Bien que des décennies de psychothérapie, de tai chi et de danse guerrière Aztèque ont fait d’Oldfield un homme plus calme que jamais, il continue à donner un sens à ses démons. Une des chansons de l’album – Nuclear – est à propos de sa conviction qu’il vit toujours avec les retombées du traumatisme lié à la Première Guerre Mondiale de son grand-père. « Je ne l’ai jamais connu » dit-il, « alors j’ai demandé les service d’une entreprise pour en savoir plus sur lui. Il s’est avéré qu’il était un grand personnage avant la guerre, mais il est revenu chez lui très changé. Ma mère était l’un de ses dix ou onze enfants et tous ceux nés après la guerre ont eu des problèmes comme les siens. Je voulais voir si je pouvais étendre mes sens en me rendant là où il avait été. J’ai voyagé aux alentours d’Ypres et je suis allé dans les musées du champ de bataille. J’ai vu les tombes de son régiment : les Royal Munster Fusiliers, et je pouvais le sentir. Toujours là. C’est une bénédiction et une malédiction pour ceux d’entre nous qui ont cette sensibilité en plus. »

Père de sept enfants, Oldfield se dit déterminé à laisser les blessures derrière lui, bien qu’il ait encore des bouleversements dans sa vie. Il vient d’obtenir le divorce avec sa troisième femme – la mère de ses deux plus jeunes garçons. Dans un contexte mélodique, l’album de rock FM, Man on the Rocks, célèbre la liberté et de nouveaux horizons. Est-ce un album de rupture ? Oldfield hoche la tête. Il ajoute que le morceau-titre est sur la dépendance : « Pas nécessairement à la drogue ou l’alcool – ça peut être, d’une certaine manière, sur l’addiction à l’échec au niveau relationnel. » Il précise qu’il ne peut pas discuter de sa situation en ce moment à cause du processus juridique actuellement en cours. « Mais j’ai mes garçons ici la moitié du temps, et je suis un bien meilleur père que j’ai pu l’être auparavant, pour la simple et bonne raison que je suis stable maintenant. » et, posant son tabac, il tend sa main à la webcam pour me montrer l’absence de tremblements. « Vous voyez ! », sourit-il. « Pas mal pour un gars de 60 ans ! ».

Helen Brown (pour le Telegraph.co.uk - 7 mars 2014)

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