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mercredi 22 février 2023

INTERVIEW - Tom Newman revient sur le phénomène Tubular Bells (par Mark Slattery pour Daily Express)


2023 risque d'être riche en rétrospectives et hommages à l'album culte qui fête cette année ses 50 ans ! D'autant plus que la sortie de Tubular Bells n'a pas seulement été un déclencheur pour la carrière de Mike Oldfield, mais a marqué l'industrie musicale à grande échelle en lançant Virgin Records et par la même occasion les carrières d'autres noms, tels que Richard Branson et Tom Newman...

C'est justement ce dernier qui a été mis à l'honneur ce mois-ci dans les pages du quotidien britannique Daily Express. L'ingénieur et producteur à l'origine de l'enregistrement de Tubular Bells revient sur la genèse de l'album et sa rencontre avec Mike Oldfield. C'est aussi l'occasion pour lui de raconter la relation (pas toujours au top...) qu'ils ont entretenue ensemble, et la carrière finalement modeste qu'il a vécue, dans l'ombre, gardant toujours son esprit très bohème. Ah, ce bon vieux Tom...

Je vous propose ici une traduction complète en français, mais bien sûr l'article original est à retrouver directement sur le site du Daily Express.

Bonne lecture !


For whom the Tubular Bells toll - The genius behind the global phenomenon


[Pour qui les Tubular Bells sonnent - Le génie derrière le phénomène mondial]
par MARK SLATTERY (publié le 18 février 2023 - Daily Express)

EXCLUSIF : Tandis que l'album de rock progressif, dont le succès a financé l'empire Virgin Records de Richard Branson et fait de Mike Oldfield une superstar, fête son 50ème anniversaire, nous mettons la lumière sur le génie peu connu des studios, qui a joué un rôle crucial dans sa création...

Mike Oldfield photographié en 1983, 10 ans après la sortie de son album iconique, Tubular Bells (Image: Andre Csillag/REX/Shutterstock)

C'est l'album qui a lancé l'empire commercial de Richard Branson. Il y a cinquante ans, en mai 1973, le musicien britannique Mike Oldfield sortait son célèbre album de rock progressif, Tubular Bells. Obsédant, changeant et novateur, cet album est lentement devenu un classique, notamment grâce à l'utilisation de son thème d'ouverture dans la bande-son du film d'horreur L'Exorciste.

Parmi les célébrations de cet anniversaire, trois tournées distinctes sont prévues cette année pour interpréter ce morceau éclectique - le premier album sorti sur le tout jeune label Virgin. Au cours du demi-siècle écoulé, il s'est vendu à plus de 17 millions d'exemplaires dans le monde.

Mais sans Tom Newman, ingénieur et producteur de l'album Tubular Bells, la carrière d'Oldfield - voire de l'empire Virgin lui-même - n'aurait peut-être jamais vu le jour.

Ou du moins, pas à ce moment là.

Fils d'un père ingénieur et fabriquant d'outils, Newman a grandi à bord d'une péniche de débarquement de la Seconde Guerre mondiale reconvertie à Isleworth, dans l'ouest de Londres.

Peu de choses étaient conventionnelles dans sa vie. Sa mère lui a inculqué un goût pour le folklore, tandis que son père l'a préparé au monde pratique, lui apprenant à réparer tout ce qui existe, des vélos  aux voitures à moteur en passant par les dragueurs de mines.
 
Ainsi préparé, Newman quitte le lycée (« l'anglais et l'art sont mes seuls examens de fin d'études ») et travaille dans une usine d'assemblage de pièces d'horlogerie. En parallèle, il répare de vieilles motos Harley-Davidson.

Mais ce n'était pas la vie qu'il voulait.

« Les années 60 étaient une époque où les gens avaient l'impression de pouvoir faire et devenir tout ce qu'ils voulaient », se souvient-il aujourd'hui. « La morale du travail jusqu'à l'épuisement, tant nécessaire pendant la guerre, semblait tout à coup inappropriée. Le rock'n'roll avait envahi ma conscience. »

Mike en 1982 (Image: Getty)

Apprenant la guitare en autodidacte, Newman quitte l'usine et tente d'abord sa chance comme musicien, puis comme artiste, avant de tomber dans l'ingénierie et la production musicale sans aucune qualification reconnue. « Je voulais être l'un des frères Everly », sourit-il.

Le skiffle et le blues sont ses premiers amours et son groupe, The Tomcats, gagne une résidence au Beat City sur Oxford Street à Londres, dirigé par le légendaire DJ Alexis Korner. Mais il fallait d'abord se débarrasser de l'orchestre en place, d'un certain Gallois appelé Tom Jones. La future star est finalement licenciée, se souvient-il, à cause d'une « obscénité au niveau du pantalon ».

Newman était l'élément le plus crucial de tout le groupe en attente de percer : celui qui assemblait les haut-parleurs et les amplis, réparait le van, et réparait les instruments cassés.

Il s'est retrouvé par hasard au dernier concert des Beatles sur le toit du QG d'Apple Corps à Londres, où l'on pouvait voir l'une de ses œuvres - il peignait encore à l'époque - derrière la batterie de Ringo Starr.

« J'ai vendu ce tableau immédiatement après pour 20 £ », se souvient-il.

Newman vit dans des squats, des maisons flottantes et finalement dans un dragueur de mines de la Royal Navy, le HMS Dittisham, amarré à Dartmouth. Mais le drame s'abat en 1969, lorsque sa petite amie Susan meurt des suites d'une grossesse extra-utérine. Sa vie de bohème s'améliore lorsqu'il rencontre l'entrepreneur Richard Branson, à peine âgé de 20 ans, à l'époque de la création de Virgin, par l'intermédiaire de sa petite amie de l'époque, Jackie Byford, qui travaille bénévolement pour l'entreprise.

À cette époque, révèle Newman, Branson n'avait aucune intention de s'installer dans la musique. Il affirme être l'homme qui a convaincu le futur milliardaire de créer son propre studio d'enregistrement.

« Égoïstement, je voyais là un moyen de produire ma propre musique gratuitement », admet-il.

Tom Newman, 79 ans, prévoit un nouvel album (Image: Getty Tom Newman)

C'est Newman qui a aidé Branson à découvrir la demeure qui s'écroulait dans l'Oxfordshire où son premier studio d'enregistrement, The Manor Studio, a été installé dans les anciens courts de squash en 1971. « Je me souviens que nous l'avions vu dans le magazine Country Life pour 30 000 £ », explique-t-il.

Branson était sceptique - ils avaient envisagé de s'installer à l'intérieur d'une église - mais, par chance, George Martin, producteur des Beatles, est venu parler à Richard.

« Il a jeté un coup d'oeil à mes plans et, étonnamment, il les a tous approuvés », se souvient Newman. Désormais convaincu, Branson obtient un prêt de sa tante - « Elle ne lui a fait aucune faveur, le taux d'intérêt était de cinq pour cent » - puis charge habilement Newman, qui vit alors dans sa camionnette, de le construire. Une fois le studio structurellement opérationnel, Newman a dû s'initier à la technologie musicale en pleine évolution sur laquelle Tubular Bells allait bientôt être façonné. « Aujourd'hui, tout cela est très scientifique, bien sûr », dit-il. « Mais à l'époque, c'était de l'art de magicien ».

Mais la patience de Branson a des limites, car le travail s'éternise. « J'avais désespérément essayé de retarder les choses, de dissimuler une erreur qui avait été commise dans les réglages de la console de mixage ».

« Richard nous a mis la pression en faisant réserver les premières sessions. Je n'avais jamais enregistré quelqu'un, où que ce soit, qui ne faisait pas partie de mon groupe, et encore moins un groupe de musiciens professionnels expérimentés. Je ne savais pas comment mettre un micro sur une batterie. Je jouais le rôle de l'ingénieur mais je ne savais pas quoi faire. Ma courbe d'apprentissage était presque à la verticale. » La pression de Branson a fonctionnée. Le Manor Studio est terminé un jour seulement
avant l'arrivée du groupe d'Arthur Lewis, et avec lui, un bassiste de 18 ans appelé Mike Oldfield.

Victime d'une mauvaise expérience avec les drogues et d'un traumatisme familial profond, Oldfield était pratiquement incapable de communiquer, mais le charme facile de Newman et ses centres d'intérêts d'intello ont réussi à attirer cette âme terrifiée et angoissée.

« Mentalement c'était une épave, il marchait avec les yeux qui brillaient de larmes. J'étais de tout cœur avec lui. » Newman a emmené Oldfield au pub - le Jolly Boatman à Kidlington - en lui faisant boire de la Guinness pour l'aider à s'ouvrir, et ça a commencé à marcher. Mais dès que quelqu'un d'autre les a rejoint, Oldfield s'est tu à nouveau.

Un lien s'est créé et Newman est devenu non seulement le catalyseur de Virgin Records, mais en même temps de Tubular Bells.

Le Arthur Lewis Band a enregistré son LP et est parti, avant de se séparer aussitôt, mais Oldfield est resté, charmé par le refuge et la bizarrerie du Manoir, qui l'éloignait de ses problèmes.

Il s'en souvient dans son autobiographie, Changeling : « Je me souviens de Tom sortant du Manoir avec un véritable arc et des flèches - il fabriquait ses propres flèches comme un archer traditionnel. Il aimait aussi fabriquer des maquettes d'avions, qu'il construisait lui-même. Je suis monté dans sa chambre, j'ai vu ces avions et j'ai pensé : 'Oh, c'est génial !' ».

Les activités du charismatique Newman sont devenues plus tard les propres loisirs d'Oldfield.

Les deux hommes sont devenus tellement copains que Newman a accidentellement cassé une des côtes d'Oldfield en jouant à la lutte sur la pelouse du Manoir.

Newman est captivé par les démos d'Oldfield et les fait écouter à Simon Draper, le partenaire musical de Branson chez Virgin, qui prend sa défense.

Ils ont attendu, attendu, attendu... Oldfield a fait pression sur Newman, et Newman a fait pression sur Virgin. On leur donne finalement une semaine pour enregistrer la première face de ce disque qui était  techniquement difficile.

Comme le rappelle Branson lui-même : « Après avoir ouvert notre premier magasin de disques Virgin à Londres, nous avons rassemblé un peu d'argent et acheté une maison de campagne délabrée que nous avons transformée en studio d'enregistrement appelé The Manor ».

« Un jour, un ingénieur de The Manor m'a appelé pour me dire qu'il avait entendu une incroyable démo instrumentale d'un adolescent appelé Mike Oldfield. La mère de Mike était alcoolique, et quand il avait 14 ou 15 ans, il s'est enfermé dans le grenier et il a composé. Il jouait tous les instruments lui-même. »

Mike Oldfield (Image: Getty)

Au sujet du processus d'enregistrement, Newman explique : « Michael avait quelques idées de base et des morceaux de mélodie, mais ils n'étaient pas vraiment connectés. Rien n'était fixé de manière rigide.

« J'ai créé une énorme liste de morceaux qui faisait 3 mètres de long, suspendue au bout de la table de mixage. On la travaillait sans relâche jusqu'à ce que l'on sente qu'il fallait tout changer. C'était une m**** à mixer. On sollicitait l'équipement bien au-delà des attentes. »

Un tel multi-pistage était un véritable pas en avant dans la production qui était alors à la pointe. Pourtant, il avait été arrangé par des amateurs qui venaient collectivement de produire l'album instrumental le plus vendu de tous les temps. Sorti le 25 mai 1973, Oldfield, qui n'avait que 19 ans au moment de l'enregistrement, jouait presque tous les instruments.

Il comprenait deux morceaux presque entièrement instrumentaux. Aujourd'hui, les ventes sont estimées à quelques 17 millions d'exemplaires, et ce n'est pas fini. Virgin était né et Branson a décollé. Mais pas Newman. « Nous n'avons rien reçu, pas même un remerciement ou une pinte de bière », se souvient-il.

« Quelques mois plus tard, Richard était millionnaire et Michael avait disparu. » Newman a quitté Virgin l'année suivant la sortie de Tubular Bells. Il faudra attendre 10 ans, suite à une bataille juridique entre Oldfield et Virgin au sujet des royalties, pour que Newman reçoive enfin un pourcentage.

Il reçoit maintenant un pour cent de la commission d'Oldfield, ce qui représente quelque chose comme 6 000 ou 8 000 £ par an. « J'étais et je suis toujours extrêmement reconnaissant envers Michael pour cela », ajoute-t-il.

On pourrait penser qu'une telle expérience laisse un goût amer, mais Newman est remarquablement réconcilié avec son passé : « Je n'éprouve que de la joie pour Richard, et de l'admiration pour ses récompenses bien méritées », dit-il. « D'accord, il vient d'une famille modérément privilégiée et stable, mais, par Dieu, il n'a jamais, jamais été choyé par elle. Il a toujours été un homme adorable, qui a travaillé très dur, sans relâche, pour arriver à ce qu'il a, et qui permet aujourd'hui de mettre de la nourriture sur de nombreuses tables. »

Tubular Bells

La relation entre Newman et Oldfield a également connu des hauts et des bas. Ils se sont retrouvés pour travailler sur l'album Amarok d'Oldfield en 1990.

Deux ans plus tard, Newman se heurta à Trevor Horn, le producteur de Tubular Bells II. Mais un événement encore plus étrange avec Oldfield arriva peu après.

« J'ai traîné avec Michael pendant un mois ou deux, pour l'aider à préparer un nouvel album », se souvient Newman. Un jour, sa petite amie de l'époque s'est arrêtée pour dire "Bonjour" et me demander "Est-ce que tu veux quelque chose pour les courses ? ».

La brève conversation avait été observée par Oldfield depuis une fenêtre à l'étage.

Le musicien a alors commencé à fulminer de façon incohérente, disant à Newman qu'il n'avait pas le droit de parler à sa petite amie. Ils ne se sont plus parlé pendant 10 ans.

Jamais véritablement célèbre, ni jamais véritablement riche, Newman a passé la majeure partie du reste de sa vie à éviter de faire fortune. Oublier Tubular Bells, oublier son travail artistique derrière Ringo et oublier une douzaine de ses propres albums studio qui n'ont pas réussi à prendre la lumière comme Tubular Bells. Mais certaines choses ne peuvent être oubliées.

Il possédait un magasin de quartier qu'il a acheté pour 8 000 £ et revendu pour 16 000 £ après avoir lui-même imaginé des plans de rénovation. « Le nouveau propriétaire a dûment suivi mes plans et la boutique vaut environ un million aujourd'hui ».

Mike Oldfield en 1981 (Image: Getty)

Plus tard, il a acheté une Bentley Fastback Continental pour 11 000 £. « Je me suis retrouvé fauché, et j'ai dû vendre la Bentley. J'en ai tiré exactement 11 000 £. Deux mois plus tard, le marché des voitures classiques a décollé, et vous ne pouviez pas acheter une Fastback Continental pour moins de 100 000 £. »

Il s'est essayé dans une entreprise de fabrication de guitares - mais qu'il a ensuite quittée pour se consacrer à d'autres projets - dans laquelle il a créé des guitares pour les Bee Gees, les Beach Boys et John Entwistle.

Plus tard, Newman a commencé à écrire ses mémoires pour éviter les pensées suicidaires. Cherchant à les vendre à Virgin Books, il a appelé leur département marketing, expliquant qu'il était un ami de Richard. On lui a alors répond : « Qui est Richard ? ».

Le succès ne garantit pas la fortune, et s'il est riche de quelque chose, c'est hélas surtout d'expérience. Aujourd'hui âgé de 79 ans, Newman commence à travailler sur un nouvel album, Finer Old Tom [en référence à son premier album Fine Old Tom, sorti en 1975].

Alors que d'autres célèbrent le succès d'un album culte qu'il a contribué à créer, un peu de nourriture sur sa table serait bien mérité.


Traduit en français par orabidooblog.

Forum

9 commentaires:

Anonyme a dit…

Merci!

Anonyme a dit…

L'auteur de l'article me fait dire que la photo de Tom avec la guitare TB n'est pas de Getty mais de Tom lui-même. Yannick

Orabidooblog a dit…

@Yannick J'ai repris texto les crédits indiqués sur l'article, mais effectivement ça me paraissait douteux ! Tu as eu l'info du journaliste lui-même, c'est bien ça ?

Anonyme a dit…

Oui, je suis souvent en contact avec lui et il m'a envoyé le journal. Je lui avais dit que tu avais traduit le texte pour les francophones et il m'a juste fait cette petite remarque. Rien de grave

Anonyme a dit…

En effet, je vois maintenant. Tu as raison, l'article online a mis Getty comme crédit sous cette photo

Orabidooblog a dit…

@Yannick super merci pour l'info je vais modifier du coup! ;-)

Anonyme a dit…

Bonjour,
Toujours passionnant vos articles.
Je pensais que Tom Newman avait souvent enregistré avec M. Oldfield et donc qu'ils étaient resté davantage en contact. Rien ne vaut de remettre à jour ses propres croyances ou approximations.

Il est toujours instructif de pénétrer dans la cuisine des artistes, et connaître avec le recul comment se sont déroulés les faits réels, qu'on oublie souvent au profit de la légende. Les pendules sont remises à l'heure, même si le souvenir enjolive aussi des faits âgés de décennies.

En tout cas - on le vérifie encore ici - il faut de petites mains - qui limitent se sacrifient - pour que l'œuvre existe et perdure. On pense à tous les techniciens de tous les métiers artistiques qui travaillent du mieux qu'ils peuvent dans l'ombre, et que l'on ignore le plus souvent.

Grâce à ce témoignage, que notre admiration muette lui redonne une réalité. Merci pour lui. Et merci de cette traduction éclairante.

Orabidooblog a dit…

C'est vrai que l'article n'est pas très clair là-dessus, mais ne nous y trompons pas ! Tom Newman a très souvent collaboré avec Mike Oldfield. Il était notamment producteur sur une bonne partie des albums de l'ère Virgin (sur TB, Hergest Ridge, Platinum, Five Miles Out, Islands, Amarok, Heaven's Open, et bon nombre de singles de cette époque...). Il a également œuvré pour lui en tant qu'ingénieur son sur plein d'autres projets (même après TB II). Donc relativisons les propos. Tom est longtemps resté un fidèle compagnon de route dans la carrière de Mike Oldfield.

Anonyme a dit…

D'accord, merci à nouveau de vos précisions.
Attention à la mémoire, avec ce qu'on lui fait dire après coup..

A tout hasard, avez-vous lu l'ouvrage de Frédéric Delâge, "Mike Oldfield - Tubular bells et au-delà", l'un des rares ouvrages publiés en français concernant notre musicien ? Apparemment il revient longuement sur cet "opus I". A voir si les propos de Tom convergent avec les siens.