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'Mike Oldfield - Le Messager' - interview par Anil Prasad (2013)


Partie III : Orchestraux, Man on the Rocks, la guitare et la composition...


Un autre album pour lequel je ne vous ai jamais entendu parler est Orchestral Hergest Ridge, qui n’a jamais été édité. Pourquoi cet album reste encore dans les placards après tout ce temps ?

Je n’aime pas Orchestral Tubular Bells et Orchestral Hergest Ridge. La raison pour laquelle ils existent est liée à la première de Tubular Bells au Queen Elizabeth Hall en 1973. Quand j’étais en train de travailler sur la performance des JO, l’année dernière, l’hôtel où je résidais était sur la berge près du Queen Elizabeth Hall. J’empruntais le vélo de quelqu’un tous les matins. J’ai pédalé pour me rendre devant l’entrée des artistes du Queen Elizabeth Hall. Je souhaitais me rappeler comment il y a 40 ans, je suis entré là, tremblant comme une feuille avant de jouer mon premier concert. C’était comme se retrouver avec le moi-même de l’époque. Après ce concert, j’étais tellement horrifié par les difficultés de reproduire mes albums que je ne voulais pas faire de tournée. Je ne voulais rien faire. Je ne suis pas parti en tournée avant 1978, soit cinq ans plus tard. En 1973, Richard Branson m’avait dit « Si tu ne fais pas de tournée, je vais faire des versions orchestrales de ces albums et je vais prendre des orchestres pour les jouer ». C’était son plan. Alors, il a embauché David Bedford, qui a vraiment fait du bon travail, mais la musique n’était pas destinée à être orchestrale. J’ai fait un album orchestral qui s’appelle Music of the Spheres, mais celui-ci était fait pour ça. Alors je n’ai pas approuvé ces albums orchestraux. Je n’ai pas été impliqué. David les a fait lui-même, entièrement, j’ai joué un peu de guitare sur une partie, mais à part ça ils n’ont rien à voir avec moi – pas le moins du monde.



Parlez-moi de votre prochain album rock.

J’ai fait du mieux que j’ai pu. J’ai écrit toutes les chansons et j’ai essayé de les chanter moi-même. Mais vous connaissez ma voix sur Heaven’s Open ? Imaginez cette voix 20 ans plus tard, eh bien ça sonne comme cela. Elle n’est pas très belle, alors j’ai cherché le bon chanteur. J’ai écouté beaucoup de gens pour trouver un vocaliste vraiment bon, qui ne pourrait pas juste chanter les morceaux, mais également me donner de l’émotion. Je l’ai trouvé et vous entendrez parler de lui bientôt. Nous  avons aussi ré-enregistré les pistes de fond en live avec un groupe de rock approprié, composé de musiciens vraiment bons. Nous avons travaillé de manière très similaire qu'avec Platinum. Les sessions lives sont totalement différentes comparé à lorsque vous joué tout vous-même. J’ai dû faire beaucoup de recherche pour trouver les bonnes personnes.


Vous avez décrit l’album comme une « musique venant droit du cœur ». Expliquez-moi.

Man on the Rocks (2014)

Beaucoup de chansons sont assez tristes en fait. J’envisage d’appeler l’album Man on the Rocks. [rires]. C’est le titre d’une des chansons. Il y a une chanson sur l’album vraiment géniale dont je vais vous parler. Je vis à Nassau, sur l’eau, et l’endroit où j’accoste mes différents bateaux sur le port est vraiment magnifique. Alors, j’ai écrit une chanson sur la navigation [Sailing]. Ce n’est pas comme le ‘Sailing’ de Rod Stewart. C’est plus du second degré, se libérer des chaines du monde moderne et s’évader sur le chant de l’océan... C’est assez marrant. C’est un peu comme Pirate des Caraïbes. Je peux voir Johnny Depp à l’avant du bateau en chantant sur le vaisseau pirate. C’est une chanson joyeuse. Le reste de l’album est assez triste, mais toujours très puissant. J’adore jouer de la guitare sur cette l’album. En quelques sortes, le son de ma guitare s’est amélioré. Vous connaissez la guitare à la fin de la première partie d’Ommadawn, la partie vraiment criante ? Eh bien, maintenant j’ai cette boite, qui s’appelle Eleven par Avid, vous avez juste à appuyer sur un bouton pour que ça vous fasse exactement le son de la Gibson SG allant vers une Fender Twin Reverb sur les micros de droite. Donc, c’est amusant. J’ai travaillé avec Steven Lipson sur l’album, qui a travaillé avec Trevor Hom. J’adore travailler avec Trevor et je m’entends bien avec Steven aussi.


Parlez-moi de votre relation avec la guitare – votre fidèle compagnon musical tout au long de votre carrière.

C’est comme une partie de mon corps. C’est comme si c’était un rein supplémentaire. Je n’ai pas à y penser. Je l’attrape juste et je joue. C’est parce que j’ai appris à y jouer quand j’étais très jeune. J’avais acquis toute ma technique avant même mon adolescence, autour de 10-11 ans, alors je n’ai pas besoin de la travailler. La guitare est comme une voix. C’est aussi naturel que de parler. Le son est vraiment important pour moi. Certaines guitares sont bonnes, d’autres non. Vous devez en avoir une fétiche et faire attention à ne jamais la perdre. Les guitares vieillissent aussi. Parfois, elles sont bonnes pendant quelques années et elles deviennent progressivement moins bonnes et vous ne voulez plus y jouer. J’ai une Fender Telecaster très banale en ce moment. Elle ne parait pas spéciale du tout, mais c’est juste agréable d’en jouer. J’ai été contacté par PRS England récemment parce qu’ils m’avaient vu jouer une PRS aux JO. La PRS est vraiment jolie à regarder, mais la guitare que j’utilise en studio est réellement moche.

Mike Oldfield sur une PRS Studio lors de la
cérémonie d'ouverture des JO de Londres de 2012


Vous avez une des sonorités des plus clairement reconnaissable. Je ne l’ai entendu reproduite par personne d’autre. Comment arrivez-vous à ce son ?

Ça vient de la façon dont j’ai appris à faire de la guitare électrique, qui s’est faite en pinçant les cordes en acoustique. C’est un son très pur parce que je joue avec mes ongles de doigts. Chaque corde qui ne sonne pas est amortie par mes autres doigts. La plupart des guitaristes qui joue avec un médiator laisse les autres cordes sonner un peu, délaissant la pureté du son. C’est le secret. De plus, j’utilise un vibrato de violoniste au lieu d’un vibrato de guitariste rock. Mon vibrato se déplace sur le côté alors que celui d’un guitariste de rock typique va de haut en bas. Mon son est un mélange de tout ça avec un style très celtique que j’utilise avec un tas de petites notes gracieuses comme sur la cornemuse. Je mets beaucoup de puissance et d’émotion dans chacune des notes. Je peux jouer une note ou trois notes avec une telle passion, de la conviction et de l’autorité. Je n’ai pas à impressionner en jouant très rapidement. Je peux jouer quelque chose de très simple aussi. J’utilise également l’électronique pour obtenir le bon son. A un moment, j’ai même racheté la toute première console du studio Manoir. J’ai pris deux modules dessus et je les ai utilisés comme partie intégrante de la plate-forme pour ma guitare. Mais maintenant, je peux tout avoir dans une simple boite comme Eleven par Avid, je branche et j'y vais.

Quelques-unes des guitares les plus emblématiques de MO :
Fender Telecaster 1966 (Tubular Bells-2000's) ; Gibson SG Junior 1962
(fin 70's-80's) ; Fender Stratocaster 1961 (80's-2000's)


Composez-vous à la guitare ?

Non, pas vraiment. Je n’ai jamais écrit de musique avec la guitare. Tubular Bells a été principalement composé sur le piano droit de ma grand-mère – un truc qui faisait un vrai vacarme – ou sur la guitare électrique. Il y avait un peu de guitare, je pense. Ma musique était principalement écrite sans aucun instrument. Ce n’est même pas vraiment écrit. Une idée me vient en tête et je l’entends. Elle me donne plus l'impression d'être un messager qu’un interprète. Je reçois les idées quelque part au fond de mon subconscient. Elle est conçu là, se développe dans un embryon et atteint mon conscient. Je ne sais pas ce qui se passe. Les fois où j’essaie de m’assoir pour composer sont les pires moments. Je n’y arrive pas. J’attends parfois des mois, voire même des années, avant d’avoir une bonne idée.


Comment saisissez-vous ces idées lorsqu’elles émergent ?

Si je ne suis pas en studio, je dois les écrire. Je suis de ces terribles, déviants, dégoutants et horribles fumeurs. Je roule mes propres cigarettes. J’ai ces papiers à rouler et il y a ce petit espace en haut qui est juste assez grand pour écrire une petite portée – quelques notes de musique. Même si j’écris cinq ou six notes de cette idée, alors je m’en souviens pour toujours. Mais si vous ne l’écrivez pas dans l’heure qui suit ou plus, elle s’envole à jamais. Il fut un temps où j’avais une grosse boite à café pleine de petits bouts de papier Rizla avec toutes les différentes idées que j’avais eu. Quand l’heure de faire un album arrivait, je vidais la boite et je me mettais à les écouter toutes. Ce sont des idées de musique très précieuses. Je me rappelle que Mount Teide est venu grâce à ce précédé. Mount Teide est une montagne des Canaries que j’ai escaladé, un jour, jusqu’au sommet.


Pour vous, y a-t-il un élément spirituel dans l'émergence d'idées musicales ?

Je pense. Nous pourrions parler des heures juste sur ce sujet, mais je préfère ne pas essayer ou l’analyser, mais plutôt l’accepter. C’est une bénédiction, vraiment. Qui sait d’où les idées viennent. L’échelle musicale est si simple. Il n’y a que 13 notes et tant de combinaisons entre elles, mais quelques chose d’autre accompagne la composante mélodique, c’est presque une composante spirituelle. Vous pouvez avoir les mêmes notes sur deux morceaux, mais ils seront totalement différents selon la composante spirituelle qui entourera ces notes. Nous entrons dans un domaine très théorique pour lequel j’ai tendance à ne pas penser. Je suis juste chanceux.

J’ai l’habitude de théoriser et lire beaucoup. Il y a quelques années, j’ai appris la méditation transcendantale, ou MT comme on l’appelle. Je vis près de la mer et j’ai un petit quai, un bateau et aussi un jet ski. Si c’est une belle journée et que la mer est à peu près calme, je prends le jet ski et je pars seul sur l’une des petites îles autour de Nassau, je plonge et je nage vers la plage. Je m’assois là peut-être une heure et je fais un peu de méditation. Quand vous êtes dans ce profond état méditatif, vous n’avez pas besoin de réponses. Vous êtes juste là. C’est comme si les mots n’étaient que du bla-blatement et une forme primitive de communication. C’est tout ce que je peux dire là-dessus, vraiment. Je n’ai pas besoin de théoriser plus que cela.


Vous avez virtuellement exploré, dans votre musique, tous les genres musicaux imaginables. Y a-t-il d’autres éléments que vous souhaiteriez incorporer dans le futur ?

Quand vous êtes dans un profond état méditatif, il n’y a rien. C’est le silence total. Mais de manière étrange, il y a la plus musicale des musiques imaginables, qui est l’absence de musique. C’est toujours de la musique. Je pense à une ultime évolution de l’être humain qu'a imaginé Arthur C. Clarke. J’ai fait un album basé sur son livre et le concept de 2001 [L’Odysée de l’espace], dans lequel nous remplaçons progressivement toutes nos parties physiques jusqu’à ce qu’on devienne totalement mécanique. Et puis, il arrive un moment où nous réalisons que nous n’avons même pas besoin de l’artifice. En d’autres termes, nous pouvons exister sans rien de physique. Dans un sens, je suis en train de dire que la musique est comme porteuse de quelque chose. Peut-être que mon prochain album sera le silence. Je ne sais pas ce que la maison de disque pensera de ça. [rires]


Avez-vous déjà pensé que l’argent que vous avez généré pour Virgin à ces débuts, a finalement permis à Richard Branson de lancer son programme Virgin Galactic ? Dans un sens, votre musique a contribué à l’émergence du tourisme spatial.

Vue d'artiste des futures navettes de Virgin Galactic
Un jour, je me suis dit que l’unique but de ma musique avait été de lancer Richard. Et puis, attend une minute. J'ai alors pensé que ce n'était pas très juste de penser ça. [rires] Ça fait partie d’un très gros plan. Richard est une personne extraordinaire. Il a fait émerger l’idée des vols spatiaux commerciaux, vraiment. Bien qu’il ne soit pas le dernier. On parle de mettre un couple en orbite autour de Mars dans deux ans. Il y a aussi Elon Musk et ses fusées. Richard a amené l’idée des vols spatiaux commerciaux dans la conscience du public. Sera-t-il celui qui y arrivera le mieux ? Je sais que Richard donnera tout, mais il pourrait y avoir d’autres personnes en lice pour le faire également. Les gens avec assez d’argent iront là-haut, mais Richard va le rendre plus accessible. C’est toujours 200 000$, tout le monde ne peut pas le faire. Peut-être que dans 20 ans ce sera plus accessible pour beaucoup de gens. Nous devons aller là-bas. Nous devons atteindre les étoiles.


Quest-ce que ça fait d’avoir une interview dans laquelle l’intervieweur ne fait aucune mention de Tubular Bells ?

[rires] Mon Dieu, oui, c’est vrai. Incroyable. C’est la toute première fois que ça arrive. Normalement, la première question est « Pourquoi avez-vous écrit Tubular Bells ? ». C’est alors qu’en quelques sortes je me met à ramper sous mon bureau, parce qu’il n’y avait aucune raison spécifique à ça. Mais vous voyez, nous avons fait une excellente interview sans mentionner Tubular Bells. C’est possible.


Interview par Anil Prasad (Innerviews - juillet 2013)



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