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'Mike Oldfield - Le Messager' - interview par Anil Prasad (2013)


Partie II : Tournées, Ommadawn, Amarok et Heaven’s Open...


Je me demandais si, en quelques sortes, vos albums reflétaient les évènements qui se déroulaient dans le monde pendant leur réalisation ? 

Pas vraiment. Ma routine à partir de ma première tournée avec les 80 personnes sur scène a été de retourner directement en studio et me dire « Que faire maintenant ? » je me disais « OK, je vais essayer quelque chose de complètement différent. » Alors je suis retourné à New York, j’ai engagé des musiciens, enregistré Platinum, et ensuite j’ai fait une tournée. Nous sommes revenus de la tournée et je suis retourné en studio. J’ai décidé de travailler avec David Hentschel et nous avons fait QE2. Pendant 20 ans ça a été ma vie. C’était un album, une tournée, un album, une tournée. J’ai travaillé avec des centaines de musiciens et Dieu sait combien j’ai voyagé. J’ai probablement été 100 fois dans toute l’Europe. A la fin, j’avais l’impression de vivre dans l’aéroport de Frankfort, parce que c’était un gros carrefour pour aller partout
European Tour 81 (Maggie Reilly, Mike Oldfield,
Morris Pert, Tim Cross, Mike Frye, Rick Frenn)

en Europe. Je me rappelle aussi avoir visité Copenhague sans cesse. Je regardais les nouvelles et lisais les journaux. J’étais au courant des évènements qui se déroulaient dans le monde, mais je ne suis pas politique du tout. J’étais un musicien et je n’étais pas vraiment si conscient de ce qui se passait. Enfin, j’étais conscient, mais je ne me sentais pas impliqué émotionnellement ou politiquement.


Vous êtes l’un des premiers musiciens occidentaux à avoir combiné la musique africaine à la musique celtique, avec Ommadawn étant le premier fruit de ce concept. On pourrait dire que vous êtes un pionnier de la world music non-crédité. Décrivez votre intérêt initial à mélanger les cultures.

Tout a commencé chez un disquaire quelque part en Angleterre. On avait l’habitude d’avoir des disquaires, vous savez. [rires] Je commence a dater moi-même aujourd’hui. J’ai encore de bons souvenirs à faire des achats à la Tower Records de Los Angeles, où j’ai vécu quelques temps. J’allais là-bas souvent. Bien avant ça, à Reading, une petite ville où j’ai grandi, il y avait un disquaire qui avait une discothèque. Ils vous laissaient prendre des LP [33 tours], comme on avait l’habitude de les appeler, et il y avait là deux albums de musique africaine. Je n’ai aucune idée de ce que c’était, mais il y avaient dessus des gens qui jouaient ces obscurs instruments fait d’énormes choses végétales avec des cordes collées dessus. J’étais fasciné par ces albums, en particulier par les chants tribaux. J’adorais aussi le son et les percussions tribales. Je me disais « J’aime ça. Je veux utiliser ça sur mon morceaux ». Je n’ai pas cherché à faire quelque chose en particulier. J’aimais juste les sons. Sur les démos originales de Tubular Bells, j’ai utilisé un jeu de hochets pour bébés. Je les ai obtenus directement d’un lit pour bébé. C’était quelque chose qui faisait un joli son. J’ai même utilisé un aspirateur sur un morceau parce que j’aimais le son qu’on entendait lorsqu’on le mettait en marche. Je trouvais que le son du moteur d’aspirateur était harmonique.

Ommadawn (1975)

Vous êtes-vous dit à un moment « Je crois que personne n’a fait ça avant » ?

Je n’ai jamais pensé ce genre de chose, une seule seconde. Tout n’est que sonorité pour moi.

Les sons les plus intéressants que vous n’ayez jamais créés sont probablement sur Amarok. Je ne vous ai jamais vu beaucoup en parler. Au départ, ce devait être la suite d’Ommadawn, n'est-ce pas ?

En quelques sortes, oui. Quand je m’y suis mis, je devais commencer par quelque chose. Il y avait énormément de pression de la part de Richard Branson qui voulait me voir faire Tubular Bells II. Je me souviens jouer au squash avec l’associé de Richard, Simon Draper. Après la séance, nous prenions un jus d’orange et j’ai dit « Je pense faire une suite ». Ses oreilles se sont levées et il a dit « Quoi ? Tubular Bells II ? ». Aussitôt lui avoir dit cela, la pression fût sur moi. Mais à partir de là, ma relation avec Virgin s’est clairement dégradée. Je ne les intéressais pas beaucoup. 
 
MO & Richard Branson

Ils sortaient mes albums, mais ils avaient bien mieux à faire avec des gens comme les Sex Pistols, puis Boy George, et puis Phil Collins. J’ai vraiment été mis à l’arrière. Le niveau de Royalties signé dans mon contrat était ridiculement misérable, et je ne pouvais pas le changer. Donc, je me suis engagé à faire ce qui s’est avéré être 13 albums. A cette période, il me restait que quelques albums à faire pour terminer le contrat. Je n’avais pas de manager, alors il a fallu que je réfléchisse du point de vue des affaires. Je devais apprendre comment, parce que sinon, j’aurais été sucé jusqu’à la moelle par tous les lèche-bottes et les requins qu’il y avait dans les parages. Tout le monde essai de récupérer tout ce qu’il peut. Je me suis dit « Bon, quand j’en aurai fini avec Virgin, alors je ferai Tubular Bells II ». Pour le moment, je me disais que je pouvais faire Ommadawn II à la place.

Donnez quelques détails sur la façon dont s’est construit l’album.

Déjà, je voulais qu’il y ait à nouveau des bodhrans, Clodagh Simonds et Bridget St John, les chanteurs sur Ommadawn. Puis, j’ai décidé de ne même pas composer l’album. Ça allait être une improvisation totale. Alors, je suis allé en studio tous les matins avec le producteur Tom Newman et la première chose qui me venait en tête était la première chose qui était enregistrée. Ca a commencé avec un rythme de bodhran, puis la mélodie est venue. Clodagh l’a chantée et j’ai pensé en faire une mélodie récurrente, ça a grandi comme ça. J’avais des idées dingues. Elles venaient s’ajouter autour de cette belle musique celtique, et puis je me suis un peu lassé d’elle. Je me suis dit « Ajoutons quelques pointes d’excentricité et de discorde là-dessus » [rires]. Je pensais que ça égayerait un peu. Puis, j’ai pensé que ce serait sympa d’avoir des bruits de pas sur quelques secondes. Ensuite, je me suis dit « Pourquoi ne pas me brosser les dents sur ce morceau ? ». J’étais aussi en train de fabriquer une maquette d’hélicoptère à ce moment et je me suis dit « J’ai tout ce petit équipement. Chaque pièce produit un son, alors mettons ça sur le morceau aussi ». Puis, le groupe Jabula, les batteurs sur Ommadawn, est venu. Ils venaient d’Afrique du Sud et faisaient tous partie de l’ANC [parti du congrès national africain] avant la fin de l’apartheid. Ils sont venus tous ensemble au studio. Et puis, j’ai eu un chœur de 100 personnes dans un grand studio de londoniens. Margaret Thatcher était en train d’être destituée à ce moment-là, alors on a pris un imitateur sur l’album aussi. C’était juste marrant. C’est l’album que j’ai le plus envie de mixer en son 5.1. Il n’y aura pas de démo pour celui-là. L’album est entièrement fait de ces premières prises.

Musiciens sur l'album Ommadawn (au fond à droite le
groupe Jabula, Clodagh Simonds est debout à droite)

Amarok est mon album favori de tous les temps.

C’est aussi le mien. C’est très gentil à vous de me dire ça.

Des amis musiciens à moi continuent à s’émerveiller à l'écoute d'Amarok. Ils ne comprennent pas comment vous avez pu faire quelque chose de si complexe sans des logiciels comme Pro Tools ou Logic.

Et tout a également été joué à la main. J’ai utilisé un sequencer très primitif et un sampler qui était un précurseur de Notator, qui deviendra plus tard Logic. C’était installé sur un vieil ordinateur qu’on appelait un Amiga. J’aurai voulu arriver chaque matin et brancher quelque chose sous forme de maquette, le mettre sur la multipiste et dire à Tom « OK, on va travailler là-dessus, c’est un petit croquis ». Tout sur cette esquisse a été joué à la main. Il n’y avait pas de synthétiseurs. Et on finissait par jeter l’esquisse. C’était ça la manière de travailler.
Amarok (1990)
Il y a cette incroyable partie à la guitare acoustique au début d’Amarok qui n’a aucune signature rythmique. C’était juste sympa de la jouer. Je me souviens d’un bœuf à Los Angeles avec Stewart Copeland et Jeff Lynne. C’était assez extraordinaire parce qu’il n’y avait aucune signature rythmique nulle part. Mais, vous savez quoi. Une des choses qui m’a permis d’être en mesure de pouvoir faire cela est lorsque notre groupe a terminé à Athènes, à l’issu d’une de nos nombreuses tournées. Morris Pert, qui était rythmiquement très talentueux, a commencé à faire un jouer avec des musiciens grecs dans un marché. Eux non plus ne jouaient pas sur un rythme donné. Il n’y a pas eu de « Un, Deux, Trois, Quatre ». Nous avons joué avec eux. J’étais à la guitare acoustique ou au bouzouki, que je peux jouer un peu vu que c’est comme une grosse mandoline. Nous étions captivés par le manque de structure. C’était juste des notes en l’air, mais ce n’était pas aléatoire. Il y avait une certaine logique là-dedans, une logique qui défiait la logique. C’est quelque chose qu’Amarok a essayé de capturer.

Comment a réagi Virgin quand elle a reçu le projet fini ?

Ils ont dit « C’est Tubular Bells II ». J’ai dit « Non, je dois réfléchir à un titre ». Une des premières choses qui m’est venu à l’esprit fût de regarder dans un dictionnaire de langue gaélique. Ommadawn voulait dire « idiot » en gaélique. Mon autobiographie s’appelle Changeling. Amarach veut dire « changeling » en gaélique. Pour moi, ça sonne comme « Amarok », alors je l’ai écrit de cette manière. Sur la couverture, le mot a été gravé dans le métal par Tom Newman. Il a pris ces morceaux de métal, les a coupé et les a posé dessus pour créer ce que vous voyez. Virgin était scandalisé que je ne l’appelle pas Tubular Bells II, mais je ne voulais pas parce que ce n’était pas Tubular Bells II. C’était Ommadawn II. Mais Ommadawn II ne sonnait pas bien pour un titre. Ça ne sonnait pas correctement. Alors, c’est devenu Amarok et Virgin a refusé d’en faire la promotion.
J’ai dû le promouvoir moi-même. J’ai dû embaucher mon propre annonceur radio. Nous avons organisé une première session d’écoute à mon studio près de Londres. Nous avons mis toutes les chaises dehors. J’ai embauché un traiteur, j’ai commandé des sandwichs et du champagne et une seule personne est venu, c’était Bob Harris de Radio One. Bob a adoré. Il l’a passé pendant son émission. Mais si je l’avais appelé Tubular Bells II, toutes les places auraient été prises. C’est incroyable comme juste le fait de l’avoir appelé autrement a eu cet effet. Ce fut vraiment dramatique, nous avons presque rien vendu. Je ne pense qu’il soit entré dans les charts ou quoique ce soit. Et c’est devenu mon album préféré également. Alors après tout, il a résisté à l’épreuve du temps. Si dans 100 ans il est connu pour être la meilleure chose que je n’ai jamais faite, aucun problème.

L’album contient un célèbre code en Morse qui signifie « Fuck off RB » - une référence à la relation difficile que vous entreteniez avec Richard Branson à ce moment-là. Quelles-en a été les retombés ?

Bon, je ne l’ai dit à personne pendant environ un an. J’espérais que parmi tous ces gens futés, quelqu’un puisse écouter ce morceau et pense « Il y a du Morse là-dedans. Qu’est-ce que ça dit ? ». Mais personne n’y a pensé. C’était mon petit geste de défi, mais il est passé inaperçu. Alors, j’ai pensé que c’était mieux de le dire à quelqu’un, sinon personne n’aurait jamais trouvé le message caché. [rires] Si je n’avais pas parlé, personne ne s’en serait aperçu. Des gens ne le trouvent toujours pas aujourd’hui.

Une fois que vous ayez parlé, est-ce que Branson a piqué une colère ?

Non, non. Ça allait. C’était presque drôle. Ce n’était pas déplacé. C’était une façon élégante d’exprimer mon insatisfaction à ce moment-là. Ce n’était pas vraiment méchant. Je suis en de bons termes avec Richard maintenant.

Heaven's Open (1991)
L’album qui a suivi Amarok fut Heaven’s Open, encore une réalisation qui n’a pas d’équivalent dans votre discographie. Ça reste le premier et unique album dans lequel vous apparaissez comme le chanteur principal. Cet album est encore entouré de mystères aujourd’hui. Qu’est-ce que vous pouvez me dire au sujet de sa confection ?

Ça a été un autre bide. [rires] Le fait d’avoir décidé d’être un chanteur rock n’a pas été une réussite. J’ai même fait appel à un très bon professeur de chant. J’ai passé six mois avec cette très imposante femme autoritaire qui me faisait faire ces exercices vocaux, chantant « eeh, aah, ooh » et tous ces genres de trucs. J’ai travaillé très, très durement pour ça. J’ai eu un bon retour sur l’album un jour. J’étais près du Lac de Genève en Suisse pour skier et quelqu’un m’a présenté au pilote de voiture Jacques Villeneuve. Il venait de gagner le titre de Formule 1. Il m’a dit que Heaven’s Open était sa chanson favorite. Je l’imagine assis là sur la grille de départ pensant « C’est le moment. Il t’attend [le titre] », comme les paroles le disent. J’ai donc inspiré un jeune mec à gagner en Formule 1. Ce n’est pas si mal, non ? Dans un sens ça en valait la peine.

Quel regard avez-vous sur l’album du point de vue musical ?

Le morceau-titre est plutôt bon, mais nous avions des soucis pendant sa réalisation. Tom Newman, qui l’a produit, s’entendait assez bien avec David Gilmour. Il y avait ce petit pub dans l’ouest de Londres où les gens pouvaient juste venir et jouaient. J’y allais et je jouais quelques fois. Une fois, David était là et il a très gentiment proposé de venir et écouter le morceau pour nous aider un peu. Il nous a fait quelques fines suggestions et je pense qu’il a été crédité comme co-producteur sur ce morceau. J’ai remixé entièrement Five Miles Out et Crises, mais quand ce sera le moment de revisiter Heaven’s Open, je pense que je ne remixerai que quelques morceaux. Je n’ai pas d’obligation contractuelle à tout remixer, donc je choisi comme bon me semble.

Heaven's Open est aujourd'hui le
seul album chanté par Mike

Heaven’s Open est aussi le seul album sur lequel est crédité Michael Oldfield au lieu de Mike Oldfield. Pourquoi ?

Pourquoi pas ? [rires] Je l’ai senti comme ça. Je me disais que c’était parce que je chantais, que je devais être présenté un peu différemment. Peut-être y-avait-il une certaine logique à ce moment-là.





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