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jeudi 2 mars 2023

RETROSPECTIVE : Le Telegraph raconte la ‟folle” histoire de Tubular Bells (par James Hall) - traduction VF


C'est au tour du journal britannique The Telegraph de nous proposer son récit autour de Tubular Bells à l'occasion des 50 ans de l'album culte, et des multiples évènements scéniques actuellement en tournée outre-Manche. 

Cette fois, la parole est notamment donnée à l'arrangeur Robin A. Smith, qui a reçu la bénédiction de Mike Oldfield pour réorchestrer et mettre en scène son album de 1973. Robin Smith a souvent collaboré avec le Maestro puisqu'il était déjà aux mannettes en 1992, lors du concert de lancement de Tubular Bells II au pied du château d'Edimbourg, puis sur la scène de l'ouverture des JO à Londres en 2012. Il profite donc aujourd'hui des 50 ans du chef d'œuvre pour proposer sa propre interprétation en live avec une tournée exclusivement britannique qui prendra fin le 31 mars. Pas de concerts prévus à l'international donc, mais nous avons quand même droit à nos lots de consolation puisqu'une captation du spectacle a été éditée l'année dernière en DVD et Blu-ray (lien), et un réenregistrement est également sorti en CD (lien bandcamp).

La captation du live Tubular Bells par Robin Smith (à ne pas confondre avec celui du Royal Philharmonic Orchestra dirigé par Simon Dobson !!!)

La version de Tubular Bells réenregistrée par Robin Smith (CD)

L'article rédigé par James Hall revient donc principalement sur le succès de Tubular Bells et sur les lignes qu'il a brisée à l'époque. Tant du point de vue technique que musical. Les différents protagonistes que le journaliste cite le décrivent ainsi comme un ovni qui représentait une véritable prouesse pour tous ceux qui s'y sont frotté, jusqu'au réalisateur de sa première captation live sur la BBC en 1973, Tony Staveacre. Son témoignage précieux permet de revoir ce concert avec un œil tout simplement nouveau !

Cette rétrospective est ainsi l'occasion de rappeler que d'autres artistes se sont appropriés la musique de Tubular Bells, à commencer par le guitariste Steve Hillage, qui, dès 1974, avait été missionné pour faire rugir ses cordes électriques lors des performances du Royal Philharmonic Orchestra conduit par David Bedford (qui avait à l'époque réarrangé Tubular Bells et Hergest Ridge pour le classique). On raconte que Mike s'était moqué de la prestation du guitariste, mais jugé par vous même (vidéo plus bas)... Hillage avait quand même un sacré gratté sur le passage Ambient de la seconde partie, non ?? Un pur plaisir à réécouter et à revoir !

Je vous laisse découvrir cet article traduit pour vous en français, mais la version originale est bien sûr toujours disponible (ici et ).

Bonne lecture !

Too long, too complex, too weird: the twisted history of Tubular Bells


[Trop long, trop complexe, trop bizarre : la folle histoire de Tubular Bells]
par JAMES HALL (publié le 28 février 2023 - The Telegraph)

Il y a cinquante ans, ce succès improbable a lancé le label de musique de Richard Branson, a servi de bande-son au film L'Exorciste, et a fait de son jeune compositeur une star.

Le tube 'tordu' de la pochette vinyle de l'album Tubular Bells de Mike Oldfield (Records / Alamy Stock Photo - © Records / Alamy Stock Photo)

« C'est comme les alunissages. Tout le monde sait où il se trouvait lorsqu'il a entendu Tubular Bells pour la première fois », déclare Robin Smith, un musicien qui, le 3 février, s'est lancé dans une tournée britannique de 32 dates pour interpréter l'album ambient-prog-folk de 1973 de Mike Oldfield devant des dizaines de milliers de fans.

Sorti il y a 50 ans ce printemps, Tubular Bells a été un succès surprise qui a transformé son compositeur, alors adolescent, en une rock star aussi richissime que réservée. L'album - qui ne comprend que deux morceaux, sans voix, d'environ 25 minutes chacun - s'est vendu à 17 millions d'exemplaires, a lancé le label Virgin Records de Richard Branson, a servi de bande-son au film d'horreur le plus effrayant de tous les temps, et a même vu sa pochette en forme de tube tordu reproduite sur les timbres postaux du Royal Mail. Il a également marqué les débuts de la fusion de la musique classique et du rock, donnant lieu à l'un des spectacles musicaux les plus difficiles sur le plan logistique - mais finalement emblématiques - de l'histoire de la chaine BBC.

Smith dirige un ensemble de huit musiciens qui interprètent l'album en live (avec la bénédiction de son ami Oldfield, qui vit désormais aux Bahamas). Le fait que l'album remplisse encore les salles de concert d'Exeter à Édimbourg, souvent avec deux générations d'une même famille, témoigne de son attrait durable.

Même si vous pensez ne jamais avoir entendu l'album, vous l'avez forcément entendu. Ce motif au piano qui fait froid dans le dos, avec un tempo étrange, dans L'Exorciste, avant que Linda Blair ne fasse de la gymnastique avec sa tête et vous prive de votre capacité à dormir ? C'est Tubular Bells. C'est inoubliable. Mais l'album ne se résume pas à ce seul refrain. Certainement pas. Il regroupe tout, de la musique de chambre au folk en passant par le rock à la Metallica et les ambiances de Western Spaghetti. Et ce n'est que la première face du disque.

Dans ces conditions, il n'est pas surprenant que le succès de Tubular Bells ait été inattendu lors de sa sortie en 1973. Musicalement, il se situait quelque part à gauche du champ gauche*. Les albums les plus populaires au Royaume-Uni en 1972 (et qui n'étaient pas des compilations de hits) étaient soit des albums parfaitement taillés pour la radio, d'artistes comme Donny Osmond, Lindisfarne ou le gagnant écossais du télé-crochet Opportunity Knocks, Neil Reid ; soit des albums rock et glam de groupes comme Deep Purple et T. Rex. En 1973, Elton John, Slade et David Bowie dominaient les hit-parades. Mais si Tubular Bells devait partager un ADN musical avec quelqu'un, c'est bien le groupe progressif Yes, dont l'opus de deux heures Tales from Topographic Oceans est également sorti en 1973.


La sortie de l'album s'est faite presque par hasard, à une époque où Branson, entrepreneur en difficulté, tentait de percer dans le monde de la musique. Après avoir commencé sa carrière à 15 ans avec son magazine national Student en 1968, Branson s'est lancé dans la vente de disques par correspondance pour financer ses activités d'édition. Mais il s'est retrouvé en difficulté avec les autorités à cause de la façon dont avait été comptabilisée les taxes de l'époque. Il fut alors condamné à une énorme amende qu'il devait payer en multipliant ses activités liées à la musique. Il a notamment ouvert d'autres magasins, créé le studio d'enregistrement The Manor dans une maison de campagne délabrée de l'Oxfordshire, et lancé un label de disques si son équipe parvenait à trouver des artistes. Il n'y avait aucune garantie que ce dernier point se réalise.

Simon Draper, alors président de Virgin, a déclaré dans un documentaire récent que la plupart des musiciens ne voulaient pas signer avec un jeune label donné perdant. « Les artistes voulaient le pouvoir, l'argent et l'influence d'une grande maison de disques internationale, et j'étais donc très limité dans ce que je pouvais faire », a déclaré Draper. En outre, il affirme qu'il n'était pas motivé par la signature de futurs hits. « Ma motivation était de faire des disques qui étaient importants, révolutionnaires, avant-gardistes, et pas nécessairement des succès commerciaux ». Par défaut et donc à dessein, le terrain de chasse de Virgin était limité.

Quelle chance, alors, que l'un des premiers groupes à enregistrer au Manoir soit un groupe de soul appelé The Arthur Louis Band. Le guitariste remplaçant du groupe était un jeune homme timide de 19 ans appelé Mike Oldfield. Et Oldfield avait une activité secondaire. C'est le producteur résidentiel de The Manor, Tom Newman, qui a entendu pour la première fois une démo de Tubular Bells sur une « toute petite bobine » qu'Oldfield lui avait remise, une démo qu'il avait commencée à l'âge de 17 ans. Oldfield avait déjà été rejeté par plusieurs labels, qui, comme il l'a dit plus tard, le prenaient pour un « cinglé ». Mais Newman pensait que la démo était « sensationnelle ». Il envoya la démo à Draper qui convainc Branson d'utiliser Tubular Bells pour lancer le label Virgin. Oldfield travailla sur l'album pendant les temps morts du Manoir, jouant lui-même la plupart des instruments, de l'orgue Farfisa à la flûte traversière.

Mike Oldfield en 1970 1982 (Getty - © Provided by The Telegraph)

« L'avantage d'avoir un studio, c'est que nous avions parfois des périodes creuses, par exemple lorsque le groupe dormait », a déclaré Branson lors d'un récent documentaire de HBO sur sa vie. « Mike Oldfield est venu et a séjourné au Manoir, et pendant ces périodes creuses, les ingénieurs l'ont laissé entrer dans le studio et Tubular Bells a été enregistré. Simon [Draper, le président de Virgin à l'époque] a entendu la bande, me l'a apportée, nous l'avons tous les deux adorée, et avons donc décidé de la sortir. »

Selon certains témoignages, Virgin a d'abord essayé de vendre l'album à des maisons de disques plus importantes (Virgin agissant en tant que gestionnaire ou agent d'Oldfield). Un directeur de maison de disques américaine a proposé 20 000 dollars si des voix étaient ajoutées. L'offre fut rejetée. Une fois l'album sorti, Virgin « a dû jouer toutes ses cartes pour promouvoir cette musique », a déclaré Branson. « Nous avons réussi à l'intégrer dans le film L'Exorciste, ce qui a beaucoup aidé en Amérique. Tubular Bells est resté dans les charts pendant deux ou trois ans. »

La première face de l'album démontre à quel point cette musique est étrange. « Elle commence par un morceau répétitif de neuf minutes nous faisant croire à du classique, avec toutes ces lignes de rock sous-jacentes, puis il passe par une grande mélodie folk épique, puis à un autre morceau qui est presque une rencontre entre le rock de Metallica et Game of Thrones », explique Smith, son nouveau champion. « Il y a ensuite un peu de musique de saloon, suivie d'une sorte de truc à la Ennio Morricone-Clint Eastwood, puis vous avez cet incroyable maître de cérémonie [Vivian Stanshall, du groupe Bonzo Dog Doo-Dah] qui annonce les instruments, un peu à la manière d'un Benjamin Britten qui présenterait l'orchestre, mais sur l'un des riffs de guitare et de basse les plus durs qu'il soit possible de jouer. Je veux dire, la rigidité cadavérique s'installe presque après avoir joué ce riff. » La deuxième face va dans une direction complètement différente : « C'était de la musique chill avant que le chill n'existe », dit-il.


L'album démarre lentement mais entre dans les charts britanniques en juillet 1973 pour se loger dans le top 10 (bien qu'il faille attendre 15 mois avant qu'il n'atteigne la première place). Consciente de ce succès, la BBC prit l'initiative, en novembre 1973, de filmer Oldfield et son groupe en train de jouer l'intégralité de la première face de Tubular Bells pour une émission artistique dirigée par Melvyn Bragg, intitulée 2nd House.

La musique pop n'était pas nouvelle sur la BBC. L'année précédente, Bowie avait enthousiasmé les adolescents de la nation avec son interprétation de Starman dans Top of the Pops. Mais cette chanson durait trois minutes et demie, et n'atteignait pas demi-heure. De plus y avait un chanteur sur lequel les caméras pouvaient se concentrer. Tony Staveacre, qui réalisait 2nd House, m'a dit que le tournage de Tubular Bells était « absolument terrifiant », bien qu'il mette cela sur le compte du trac. L'équipe de 2nd House était plus habituée à filmer des extraits de ballets que des opus musicaux aussi incroyables.

« Nous avons eu une seule répétition et je pense que c'était tout. Pour une pièce aussi complexe et comportant tant de changements subtils - il y a une quarantaine de mouvements musicaux différents qui s'enchainent sans relâche - nous devions trouver un élément visuel pour accompagner la musique », se souvient Staveacre, aujourd'hui âgé de 80 ans. Afin de créer une « expérience visuelle », il a installé le groupe de 14 musiciens en rond, assis et tournés vers l'intérieur, une mise en scène qu'il a empruntée à un enregistrement CBS de 1957 d'un concert de Billie Holiday. Les spectateurs pouvaient ainsi  observer les contacts visuels entre les interprètes pendant qu'ils tissaient la toile complexe de Tubular Bells. Il affichait également des visuels sur l'immense logo 2nd House derrière le groupe au fur et à mesure de la performance. Pour ce faire, il avait utilisé une technique de pointe de la BBC appelée « Colour Separation Overlay » (un trucage du type écran vert mais avec de la lumière bleue). Cela permis de faire accompagner la musique de manèges de foire et de vagues. Le tout fut filmé en une seule prise.

Mike Oldfield en 1974 (Alamy - © Provided by The Telegraph)

La diffusion de l'émission est étonnante à regarder aujourd'hui. Cela est dû en partie au groupe d'Oldfield. Il comprenait Mick Taylor, alors membre des Rolling Stones, Steve Hillage de Gong (un autre groupe Virgin) et le compositeur (aujourd'hui Sir) Karl Jenkins, qui faisait alors partie de Soft Machine. « C'était extraordinaire. Ils étaient totalement professionnels. Personne ne jouait la rock star. Tout le monde était à l'heure », dit Staveacre.

Ce spectacle marquait aussi l'une des premières fois à la télévision où les mondes du classique et du rock se percutaient. Le groupe était constitué comme un orchestre de chambre où ses membres jouent à partir de partitions imprimées. Pourtant, les cheveux longs et les solos ravageurs des musiciens évoquaient d'autres contrés. Oldfield portait une veste brune sous sa crinière et jouait avec une insouciance qui évoquait davantage une jam-session dans une chambre d'étudiant qu'une émission en prime-time sur la British Broadcasting Corporation. Cette configuration en forme de rock de chambre est courante aujourd'hui - le spectacle rappelle fortement les concerts de Radiohead après 2000, dans lesquels les membres du groupe se nourrissent les uns des autres pour créer des paysages sonores complexes - mais à l'époque, c'était révolutionnaire. « Cela m'effraie aujourd'hui de penser à l'audace dont nous faisions preuve à l'époque », déclare Staveacre.

Si vous doutez de l'aspect novateur de tout cela, ne cherchez pas plus loin que cet extrait exceptionnel montrant [Steve] Hillage en tenue psychédélique jouant à la guitare un solo de cinq minutes lors d'un concert d'Oldfield au Royal Albert Hall, cette fois accompagné d'un orchestre complet. Derrière Hillage est assis un contrebassiste du Royal Philharmonic Orchestra en cravate blanche et queue de pie. Son visage, alors que le Gong man emmène la musique dans des territoires de plus en plus éloignés, est une véritable image de stupéfaction. Deux mondes se heurtent vraiment.


Le film 2nd House a été visionné 5,6 millions de fois depuis son apparition sur YouTube il y a cinq ans. Staveacre dit que, bien qu'il n'ait jamais entendu Oldfield parler au sujet du spectacle, une personne liée à Tubular Bells en a été très heureuse. « Richard Branson était très content. Je crois me souvenir qu'une caisse de champagne a été livrée chez moi », dit-il.

Oldfield a toujours été un homme timide qu'il fallait à l'époque pousser pour qu'il se produise sur scène. Il détestait l'attention que lui apportait Tubular Bells et, souffrant d'une anxiété extrême, il s'est réfugié dans la campagne galloise peu après. Mais il est resté prolifique : il a depuis sorti 25 autres albums studio et divers albums live, collaborations et compilations. Il a également eu de nombreux singles à succès (dont Moonlight Shadow en 1983), a enregistré une version du thème de Blue Peter et a joué lors de la cérémonie d'ouverture des Jeux olympiques de Londres en 2012. Lors d'une période difficile avec Virgin en 1990, Oldfield a envoyé un message à Branson en morse sur l'un de ses morceaux : « F-CK OFF RB. »

Robin Smith, qui a vu Oldfield pour la dernière fois lorsqu'ils ont travaillé ensemble sur le spectacle des Jeux olympiques, le décrit comme une « belle et merveilleuse personne qui n'aime pas les feux de la rampe ». Je pourrais dire que le côté dissident et un brin anarchique d'Oldfield font de lui une version prog rock des Sex Pistols, un autre poulain de Virgin. Est-ce la raison pour laquelle il ne participe pas à la tournée du 50e anniversaire ? Mike a toujours cette attitude [punk] : « Prenez-moi comme je suis, je vous donnerai de la musique, mais n'essayez pas de me forcer à faire quoi que ce soit, parce que je ne le ferai pas », dit Smith.

De plus, comme Branson, Oldfield a une île au soleil sur laquelle il peut se détendre grâce en partie à Tubular Bells. Et oubliez les alunissages ou les Sex Pistols. M. Oldfield a comparé son album à un autre phénomène culturel, sorti de nulle part et impliquant, à juste titre, un enfant prodige créant de la magie. « C'est toujours l'outsider, le mouton noir, qui devient le blockbuster », a-t-il déclaré en 2014 à propos de son succès.  »

Mike Oldfield’s Tubular Bells – the 50th Anniversary Celebration est en tournée jusqu'au 31 mars. Tickets sur : mikeoldfieldofficial.com


Traduit en français par orabidooblog.


* « champ gauche » en référence au terme pour désigné l'un des coins les plus extrêmes d'un terrain de baseball.

Forum

1 commentaire:

Vincent E a dit…

Merci pour ce solo de Steve Hillage !
Je ne connaissais pas... et j'aime bien.