Interview par Bert Bertrand pour le périodique « En Attendant » n°17 - Mai 1979 (Belgique)
Voici une interview que certains qualifieront probablement d'inutile puisqu'on y apprend pas grand chose, hormis le fait que
Mike Oldfield à la fin des années 70 était devenu aussi insolant que laconique en entretien. C'est à mon avis un très bon rappel de la personnalité de Mike, qui, finalement, n'a jamais été très loquace avec la presse, ni très bon vendeur. Le parallèle avec le fait qu'il communique peu aujourd'hui fait donc sens, même si des fois on est d'accord que ça peut être très frustrant, voire énervant !..
Le journaliste belge Bert Bertrand en a en tout cas fait les frais au printemps 1979, alors que le Maestro était en tournée 'Exposed' européenne, après la sortie de son quatrième album Incantations, et son passage en thérapie exegesis...
Je remercie tout particulièrement Georges pour l'archive originale. Et j'espère que ce type de contenu vous plaira.
Bonne lecture !
Retranscription de l'article paru dans le mensuel belge En attendant n°17 en mai 1979, par Bert Bertrand :
« Bert Bertrand par Mike Oldfield »
Nous avons longtemps hésité avant de publier l’article qui suit.
Si ce qui vous intéresse en lisant une interview de Mike Oldfield, c’est d’apprendre
quoi que ce soit au sujet de sa musique, de ses disques ou de ses
accompagnateurs, vous pouvez tout aussi bien tourner la page immédiatement.
Par contre si ce qui vous intéresse, ce sont les rapports
psychologiques qui peuvent se créer entre deux individus, voyez la retranscription
exacte de ce qui fut dit entre Mike et Bert.
Le concert que Mike Oldfield a donné le neuf avril à Bruxelles fut
simplement le plus merveilleux jamais donné à Forest-National. Mike Oldfield,
d'autre part, m’intéressait car il avait l'air timide, si gentil et que j’ai
toujours adoré ses disques.
Si j'avais su...
En fait, cette interview s’avéra être la plus désespérante que
j’ai jamais réalisée. Je me sentais impuissant devant l’incommunicabilité qu'il
cherchait à préserver.
J'ai perdu trois quarts d’heure à essayer de le comprendre et une
nuit blanche à méditer sur ses paroles.
Dernière information préliminaire: comme vous, j'ai horreur des
semi-journalistes qui parlent plus d'eux-mêmes que des gens qu’ils interviewent.
Il suffit de lire dans la presse qui se proclame concurrente des phrases du
genre « grâce à la gentillesse de l'attaché
de presse de la firme Machin: j'ai eu l'honneur de parler à Arthur Delferrière
et en dégustant une tranche de jambon, nous sommes allés dans ma Simca au café
Chez Léon (Merci, Léon pour la bière gratuite) où j'ai recueilli les
confidences suivantes ».
La différence, dans le cas qui nous occupe, c’est que je ne parle
pas de moi pour me mettre en évidence (Non,
à peine - G.V.) mais simplement parce que c'est inévitable face à son désir
d'anonymat.
Vous allez voir, ça a très mal commencé:
- Tu as
longtemps été considéré comme un musicien solo, or dernièrement, ton nom est
apparu en tant qu’invité sur plusieurs disques. Y a t-il un changement qui s’est
opéré en toi?
- Pas de raison.
- Ton
travail en solo te satisfaisait-il au point que tu n’éprouves pas le besoin
d’agrémenter celui des autres?
- J'ai dit « pas de raisons ».
- Est-ce
que ça signifie que tu n’as pas envie de parler?
- Non, pas du tout.
- Non pas
du tout quoi?
- Non, ça ne signifie pas que je n'ai pas envie de parler. Mais si
tu continues à me demander des raisons, je n'en aurai plus envie.
- Ça
t’ennuie qu’on essaie de comprendre pourquoi tu agis d’une certaine manière?
- C'est toi qui cherches des raisons, c’est toi qui en as besoin.
Pas moi.
- Quel est
l'intérêt de parler de quoi que ce soit alors, sinon pour essayer de comprendre
les gens?
-Il n'y a pas d'intérêt.
- La
communication ne présente pas d'intérêt pour toi?
- Je ne considère pas nécessairement que parler, c’est
communiquer. Il y a d’autres moyens.
- (pause) Jusqu’à présent dans la conversation, j'ai l’impression
que tu te sens agressé lorsque je te demande ce que tu appelles des raisons et
ce que moi j'appelle des explications.
- Si tu as des difficultés, c’est ton problème, pas le mien.
- Pourquoi
penses-tu qu’il y a un problème?
- Moi je n’ai pas de problème.
- Je crains
de ne pas te comprendre. Ça te fait plaisir?
- Je n’en ai rien à foutre.
- Ton
attitude, c’est une pose permanente ou un jeu?
(Il rit) - Pas du
tout! Dis-moi, comment te sens-tu?
- Euh...
Je me sens... comme en compagnie de quelqu'un qui n’a pas envie de parler.
- Non, tu ne réponds pas à ma question. COMMENT TE SENS-TU?
- Vis-à-vis
de toi ou de moi-même?
- De toi-même.
- Eh bien,
je crois que ce dont j’ai envie maintenant, c'est un peu de chaleur ou
d'affection.
|
L'interviewé (Photo: Robert Velline) |
Il se
penche vers moi, me prend dans ses bras et m’embrasse. Naturellement, je ne lui
réponds pas physiquement et je reste tendu.
- Mais non, tu n’en as pas vraiment envie, tu vois? Tu ne désires
pas vraiment l'affection.
- OK.
Disons que cette situation m’embarrasse. (Silence). Tu préfères parler de ta musique ou de toi-même?
Content de
son petit effet, il répond plus gentiment - Ca m'est égal du moment que tu ne me
demandes pas de raisons.
Nous
parlons du disco, de la culpabilité et inévitablement, comme au jeu du « ni oui
ni non », j'en viens à lui demander une raison. Y a-t-il moyen de parler de
sujets qui ne soient pas superficiels sans mentionner de raison? Si ça vous
intéresse, il a trois chiens et un perroquet qui dit « Stop it » et il aimerait
avoir des enfants. Dans « Incantations », il mentionne les noms de trois
déesses, Diana, Luna et Luchina (si j'ai bien compris) qui ont le pouvoir,
lorsque la lune est sombre, de la faire briller à nouveau. Mike Oldfield considère
que tout autour de nous n'est que sorcellerie.
- Mm-mmmh.
Tu crois en Dieu ?
- (long silence) Dieu en
tant que concept, certainement pas.
- Que
signifie Dieu pour toi ?
- Tout.
- Oh shit,
Est-ce que tu votes aux élections ?
- Non.
- Pourquoi
?
- Des raisons!
- (sigh)
Tu aimes Village People?
- « In The Navy »? Oui.
- Je crois
me souvenir avoir lu quelque part que tu as suivi les cours de EST. (ce sont des séminaires qui consistent à
faire des exercices psychologiques de confiance en soi).
- Non.
Je sais
qu'il ment, mais je n’insiste pas.
- Tes
singles comme « Portsmouth » ou « On A Horseback » ont toujours été très
différents de ce que tu faisais en album. Considères-tu déplacé d'inclure des
singles aussi « plaisants » sur un album?
- Les singles sont juste des trucs que j’enregistre à droite ou à
gauche pour le pied.
- Et les
albums, tu ne les enregistres pas pour ton plaisir?
- Ce sont surtout mes albums qui sont mon atout commercial.
- Tu ne comptes
pas sur les singles pour t’enrichir?
- Sur « I’m Guilty » (Je
suis coupable), oui.
- Ah,
c'est de cela que tu es coupable, alors?
- Oui
- Tu te
trouves cupide?
- Oui.
- Tu te
trouves sexy?
- Oui, je me trouve très sexy.
- Tu
trouves que tu es un Gentil Garçon?
- Oui, je suis un très gentil garçon.
- Quand tu
étais petit, qu'est-ce que tu voulais devenir?
- Conducteur de train.
- Pourquoi
n’as-tu pas plutôt fait ça?
- Je l’ai fait.
- Quand et
où?
- Hier, à Berlin-Est.
(Oh-oh.
Encore une de ces réalités séparées. On mentionne l’inévitable Carlos
Castaneda).
- De quoi
as-tu peur?
- De tout.
-
Qu'est-ce que tu déteste le plus?
- Tout.
|
L'intervieweur et ses complices (Photo: Paul Coerten) |
- Quelle
est l’utilité de te donner la peine de parler aux gens, si ce n’est même pas pour
communiquer avec eux?
- Il n’y a pas d'utilité.
- Pourquoi
le fais-tu, alors?
- Pas de raisons.
- Tu ne te
poses jamais aucune question?
- Si.
- Pourquoi
cherches-tu à donner l’impression que le dialogue est inutile chaque fois que
je te demande une raison?
- Je ne trouve pas que ce soit inutile. Je choisis de ne pas le
faire. Pas avec toi.
- Parce
que tu ne m'aimes pas personnellement?
- Non, je t'aime.
- Alors?
- Alors quoi?
- Pourquoi
acceptes-tu de me parler si tu ne veux pas avoir à te justifier? De quoi
aimerais-tu parler?
- De toi.
- OK, ce
ne serait pas moins intéressant mais je crois qu'il y a plus de gens qui
s’intéressent à Mike Oldfield qu’à moi.
- Peut-être, mais je n’ai rien à raconter que n'importe qui
d'autre ne pourrait pas faire.
- Tu es
dans une position où tu peux te permettre de refuser en bloc de parler à la
presse. Pourquoi ne fais-tu pas ça plutôt que de perdre ton temps et le mien?
- Je veux bien te parler mais pourquoi t’obstines-tu à me demander
des raisons à tout ce que je fais?
- J’ai
l’impression que chercher des raisons est une aussi bonne base qu’une autre
pour établir une communication entre deux individus.
- Pour moi, ce n’est pas ça la réelle communication. J’appelle ça deux
machines qui s’épient pour mieux se confronter.
- Ce n'est
pas nécessairement si négatif. Quelle est selon toi la manière la plus efficace
de communiquer, sinon la parole?
- Ce qu'on fait maintenant.
- Se
regarder ? Oui, bien sûr, c'est immédiat mais pas très édifiant.
- Tu interprètes le fait que je te regarde comme un défi, n'est-ce
pas?
- Oh non,
pas du tout. C'est le genre de défi auquel je me livrais il y a dix ans, mais
ça ne m'intéresse plus. C’est trop facile. Mais je ne crois pas pouvoir
communiquer avec toi de cette manière-là car je ne te connais pas assez
intimement pour savoir ce que tu ressens.
- Quand je te regarde, je ne pense peut-être à rien.
- Donc, impossible de communiquer.
- Le problème avec toi, c’est que tu places la communication au
niveau exclusif de l'esprit. C'est la partie de toi qui cherches des explications
à tout.
- Tu as
raison, on peut communiquer physiquement, mais c’est moins efficace. Tu parles
parfois à des inconnus, dans le train ou dans l'avion?
- Oui, parfois. Je suis en train de parler avec toi.
- Et ça te
plaît?
- Enormément. (silence).
Tu te souviens que nous ayons commencé cette conversation parce que TOI tu
avais envie de parler. Moi, je crois que tu es obsédé par la parole. En
général, tu parles facilement avec les gens?
- Je ne
suis pas quelqu'un de bavard, mais j'ai beaucoup de facilité à parler aux gens
quand j’en ai envie.
- Et de quoi parles-tu le plus volontiers?
-
N'importe quoi, le temps qu'il fait, le sexe, la musique, la mode, les gens.
À ce
moment-là, il me fait parler de mes parents, je préfère ne pas retranscrire
cette partie-là de l'interview mais sa conclusion est:
- Avant de poser les raisons chez les autres, tu ferais bien de te
poser un peu plus de questions à toi-même.
J'arrête
l’enregistreur. Ensuite je lui demande:
- Pourquoi
cherches-tu tellement à déceler les faiblesses des autres? Est-ce que, de la
même manière que certains types aiment montrer leur force physique pour se
rassurer, toi tu aimes bien te montrer implacable psychologiquement?
- Je ne cherche pas à montrer aux gens qu'ils sont faibles mais
parfois, je dois surmonter des faiblesses et elles en deviennent plus
apparentes.
A la réflexion, je ne crois pas que Mike Oldfield soit plus « fort
» que moi. Il peut se permettre d'être plus arrogant et c'est peut-être
justement une faiblesse de sa part que de ne pas se mettre au niveau de son interlocuteur
et d'éviter sciemment le dialogue. Qu’est-ce qui est la défense des faibles?
Par Bert Bertrand.
Forum
6 commentaires:
Purée, le malaise. Collector, cette interview. XD
Ca rappelle qu'entre un artiste et ses fans, le plus important se passe à travers la musique...
Moi je la trouve plutôt drôle, cette interview ! 😁 En tant qu’ancien très introverti, je crois comprendre l’esprit de ce que veut dire Mike. C’est plus pour moi une forme d’autisme que vraiment d’arrogance... Mais j’admire la patience de BB à continuer d’interagir et essayer de comprendre pour percer la carapace !
tout le monde le trouve touchant si c'etait un inconnue en dirait qu'il et bizarre moi je dit que mike oldfield avec l'âge il devien aigrie comme il était jeune il était pas comme çà
L'expression est à la mode, mais on dirait qu'un psy interroge un HPI (Haut Potentiel Intellectuel), ces surdoués qui ont des problèmes de communication.
Il est insupportable.
Osef franchement, ça sert à quoi de diffuser ce truc. Il n a juste pas réussit à capter son attention c est un truc entre eux aucun intérêt.
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