'Mike Oldfield - Le Messager' - interview par Anil Prasad (2013)
Partie I : Olympiade, Tubular Beats, Five Miles Out et collaborations...
Qu’est-ce que le fait d’avoir joué aux Jeux Olympiques signifie pour vous ?
C’était comme être dans la peau de Sir Edmound Hillary lorsqu’il a atteint le sommet du Mont Everest. C’était une consécration. C’était merveilleux. L’évènement a fait ressortir le meilleur de la nation. Je voulais faire du bon travail. Les britanniques sont incroyablement talentueux quand il le veulent, mais ils dégagent une sorte de tristesse et de mauvaise humeur. Je pense que le temps y est pour beaucoup, parce qu’il pleut énormément. [rires] Prendre Danny Boyle comme réalisateur était vraiment le bon choix, c’est un génie très talentueux et une personne très agréable au travail. Il vous met en confiance et à l’aise avec vous-même. Tout le monde voulait donner le meilleur de lui-même. Voir mon vieux pays à son summum avec toute la ville de Londres éveillée était fantastique. Il a fait froid et il a plu pendant des semaines avant l’évènement, mais le soleil est finalement arrivé. Les gens étaient dans les rues et faisaient la fête. C’était génial. Il y avait beaucoup d’excitation.
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Mike Oldfield à la cérémonie d'ouverture des JO de Londres |
Nous étions tous inquiets qu'il pleuve durant la soirée, parce qu’il y avait quelques nuages, mais finalement il n’y a eu que quelques gouttes pendant le spectacle. C’était génial parce que j’avais aussi mon fils Luke sur scène [à la guitare et aux claviers], qui est également musicien. Je pense que les gens étaient sceptiques au sujet du spectacle, et s’attendaient à ce que ce soit une catastrophe. Au lieu de ça, ils ont eu un triomphe planétaire. Comment pourrais-je ne pas être ravi d’y avoir participé ?
Après les Jeux, vous pouviez sortir pratiquement n’importe quel album et bénéficier de beaucoup de publicité. Pourquoi vouliez-vous que cet album soit Tubular Beats ?
Cela avait commencé des années auparavant. Je ne pouvais pas le sortir à cause des JO.
J’avais signé un nouveau contrat et un des associés m’a mis en relation avec un DJ nommé Torsten Stenzel qui vivait à quelques îles en dessous de la mienne, sur Antigua. Il m’a dit « Torsten vit de ton côté. Tu devrais le rencontrer. » Alors, Torsten est venu et il a eu l’idée de remix. Je me disais « Bon, vu que je suis en train de faire les remix 5.1 de mes anciens albums, j’ai les multipistes ici ». Les bandes originales Ampex sont issues de ces vieilles collections. Certaines d’entre elles ont dû être passées au four [technique pour restaurer des bandes sonores] parce qu’elles avaient plus de 40 ans et étaient vraiment en mauvais état. Nous en avons transféré la musique numériquement. |
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Torsten Stenzel |
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Torsten et moi avons travaillé sur Tubular Beats ensemble par internet. Nous n’avions pas à être dans le même studio. Nous avons utilisé des extraits issus des albums originaux et j’ai trouvé que c’était un projet cool. J’adore la technologie et les logiciels. Vous pouvez aujourd’hui faire des choses étonnantes. Vous n’avez qu’à maintenir un bouton et d’incroyables sons se produisent. Il doit y avoir une armée de gens dans le monde en train de confectionner les instruments virtuels et les branchements que nous utilisons. Torsten m’a fait découvrir tous les types d’outils spécialisés sur lesquels les DJs et les remixeurs peuvent compter. Curieusement, je n'ai travaillé avec aucun logiciel sur le nouvel album rock. Pour Tubular Beats, je faisais un peu de travail que je renvoyais [à Torsten], et puis il faisait à son tour un peu de travail, c'est ainsi que s'est construit l'album. Au final, il a fait la plupart du travail parce que j’étais occupé à écrire de nouvelles choses et que je finissais les remix de mon ancien catalogue. Du coup, c’est plus un album de Torsten. C’était terminé bien avant les JO. Il n’a rien à voir avec le fait de vouloir profiter de cet évènement.
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Tubular Beats |
A quel point est-ce important pour vous d’atteindre des auditeurs plus jeunes à travers des vecteurs comme Tubular Beats ?
Je ne pense pas comme ça. J’adore la musique et si quelqu’un veut faire sa propre version d’une chanson, ça me va. Si vous allez sur ma page Facebook, vous verrez toutes les différentes versions de mes musiques que les gens ont faites. Ça ne me pose pas de problème. Certaines sont géniales, d’autres moins, mais cela ne me dérange pas parce que je ne suis pas précieux. Je fais toujours tout ça par amour pour la musique. Je suis né avec cette aptitude, cette vision de la musique. Je ne me pose pas pour analyser les choses. Je ne pense pas trop à ça. Je n’ai aucune idée de quels artistes ou de quels genres musicaux les journalistes parlent. Je n’ai aucun indice.
Décrivez votre philosophie à revisiter et remixer votre ancien répertoire.
Oh, je n’ai pas de philosophie. C’est juste marrant. [rires] Je suis en semi-retraite maintenant. Que devrais-je faire ? La maison de disque voulait que je ressorte mon catalogue, pas tout à la fois, mais quelques-uns par an. C’est une belle façon de revisiter mes anciens travaux. J’ai de nouvelles idées musicales, mais je ne ressens pas la même impulsion que j’avais avant au travail. Je travaille probablement deux heures par jour désormais, alors qu’il y a 30 ans, j’étais à 15 heures par jour. J’en étais obsédé. Alors qu'aujourd’hui, je ne garde que le bon côté du travail. Ça me tient occupé. J’aime faire ça.
Travailler sur les remix est fascinant. Quand j’entends les multipistes, c’est presque comme si c’était hier, lorsque j'enregistrais les albums. Je me souviens de chaque seconde les composant. Quand j’ai revisité Five Miles Out, j’avais oublié combien de versions du morceaux-titre j’avais faites. Il y avait quatre versions différentes. Je n’arrivais pas à le rendre correct. J’ai passé plus de 3 mois sur ce même morceau jusqu’à ce qu’il soit finalement terminé. J'ai vu le film Hitchcock sur le making of de Psychose. Je ne savais pas que le film avait plu seulement après le montage. Quand les gens l’on vu la première fois, tout le monde le détestait. Ils pensaient que c’était un désastre. C’est la même chose quand je réécoute mes anciennes musiques. Beaucoup d’entre elles ont été finalisées après de nombreux montages, en coupant et collant. A l’époque, vous deviez littéralement couper les bandes physiquement et les recoller ensemble avec de la bande adhésive. De ce point de vue, c’était la même façon de travailler que sur les films. Je crois que Five Miles Out et Crises représentent le meilleur du milieu de ma carrière. Longtemps après que je sois parti, ils seront toujours là et j’ai aujourd'hui l’opportunité de les présenter aux gens sous un nouveau jour.
Vous disiez avoir été pris par l’émotion lorsque vous avez réécouté les contributions des défunts Pierre Moerlen et Morris Pert sur Five Miles Out. Dites-moi ce qui vous est venu en tête.
C’est facile de considérer les choses comme acquises et ensuite voir ces personnes quitter ce monde soudainement. Vous voyez, quand je travaille sur les remix, j’écoute juste les morceaux finis. Je zoom sur les basses et les caisses claires. Je peux entendre Pierre et Morris comme s’ils étaient dans la pièce avec moi. Je n’écoute pas une partie d’un mix, j’écoute la totalité de leurs contributions. Je me rappelle les moments. Je peux même me souvenir appuyer sur le bouton d’enregistrement et commencer à jouer tous ensemble avec ces gens. Quel merveilleux batteur ce Morris Pert ! Chaque son de caisses ou de cymbales avait une telle intensité que je n’ai probablement pas su apprécier pleinement à l’époque. Ce n’est que maintenant que je peux vraiment l’apprécier.
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Pierre Moerlen |
Morris Pert | Kevin Ayers | Pekka Pohjola |
Kevin Ayers nous a quitté récemment. Quelles sont vos pensées à son sujet concernant sa présence et sa personnalité dans votre vie.
Kevin a tenu une grande place dans ma vie durant mon adolescence. J’ai rejoint son groupe à seulement 16 ans. Il était la personne la plus charismatique que j’avais jamais rencontrée jusque-là. J’étais un gamin qui essayait de quitter l’école. J’avais seulement joué dans des petits clubs folks et dans des collèges. Soudain, il y a eu ce type, grand et plein de charisme, qui revenait juste d’une tournée avec Jimi Hendrix. J’étais émerveillé par Kevin et son mode de vie. C’est difficile de décrire cette attitude. Elle était relaxée, méditerranéenne. Il aimait profiter de la vie, la prendre facilement sans prendre les choses trop au sérieux.
Malheureusement, son attitude ne convenait pas pour réussir dans le monde de la musique, dans lequel vous aviez besoin de beaucoup d’entrainement, de jugeote et de savoir vous débrouiller seul. Si vous n’aviez pas tout ça, il y a tant de gens qui, soit profitaient de vous, soit n’écoutaient pas ce que vous aviez à dire, parce que vous n’aviez pas vendu assez d’albums la dernière fois. Kevin était un personnage adorable, pourtant. Il a été très gentil et m'a pris un petit moment sous son aile – pas musicalement, mais en termes de mode de vie. |
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Kevin Ayers & Mike Oldfield |
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Un autre de vos partenaires musicaux, Pekka Pohjola, s’en est allé il y a quelques années. Qu’avez-vous en mémoire du temps passé ensemble ?
Pour être honnête, tout ce dont je me souviens c'est de notre première rencontre. C’était au Manoir Studio et il avait acheté une bouteille de vodka et cet étrange pain noir de Finlande. C'était un homme très costaud – très nordique. Il jouait extrêmement bien de la basse. Je n’étais pas personnellement très ami avec lui, c’était une personne très réservée. Il a joué sur la première tournée que j’ai faite, celle avec 80 personnes engagés. Nous avons fait quelques albums ensemble. Il y a quelques bons morceaux de ses albums sur lesquels j’ai joué.
Vous avez précédemment parlé du sentiment de pression de la part de Virgin dans les années 80 pour écrire des chansons pop, mais le fait est que la pop sur Five Miles Out et Crises est en fait remarquable en termes de construction et d'ingéniosité. C’est clair que vous sentiez qu’il y avait quelque chose de valable dans ce type de format.
Pour moi, tout n’est que musique. Il n’y a pas de différence entre les genres musicaux. Vous pouvez même entendre de la musique dans ce qui n’en est pas, comme le roulement des vagues et le hurlement du vent. Là où je vis actuellement, nous avons eu des ouragans comme Sandy et Irene. Ils font d’incroyables bruits et c’est de la musique pour moi. Je ne catégorise pas, je ne philosophe pas. Il y a des vibrations dans l’air qui ont d’énormes effets, de façon très non-verbale, sur vous. Par contre, j’ai beaucoup de mal à écrire des paroles. J’ai l’habitude de beaucoup tricher, en utilisant un thésaurus et un dictionnaire des rimes. J’ai croisé Tim Rice il y a des années et je lui ai demandé s'il faisait pareil. Il s’est confié à moi comme si c’était un gros secret et m’a dit « Oh oui, je le fais. Je pense que nous utilisons tous ces accessoires. »
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Rééditions Deluxe de Five Miles Out et Crises (2013) |
En revenant sur ces anciens albums, vous êtes-vous déjà dit « Je m'en suis sorti avec des morceaux pop incroyablement fournis » ?
Five Mile Out est une pièce musicale extraordinaire. C’est presque comme une petite opérette. J’ai choisi une version supplémentaire pour la réédition, ainsi les gens auront une idée de tout le travail entrepris pour arriver à la version finale. Mount Teide est également un joli morceau que j’ai fait avec Carl Palmer [ELP, Asia]. J’ai sous-estimé son talent de batteur. Il y a beaucoup de ses prises qui n’ont pas été incluses dans le morceau final. C’est un excellent musicien. J’ai travaillé avec quelques-uns des meilleurs batteurs au monde, dont Robert Wyatt. J’ai été le bassiste qui accompagnait sa batterie pendant environ un an, il était stupéfiant. Et bien sûr, il y avait Simon Phillips, l’homme-pieuvre sur une batterie.
Quand vous écoutez votre ancien répertoire…
Mon ancien répertoire ? C’est beaucoup de musique. J’y suis parvenu, c’est 36 heures de musique.
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Robert Wyatt et son groupe en 1974 (MO à gauche) |
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Je connais probablement chaque note.
[rires]
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